vendredi 5 janvier 2018

Coup de théâtre !


Le terme même de théâtre (ainsi que ses dérivés théâtral, théâtraliser etc.) se distingue déjà par une graphie unique dans la langue française, à savoir un "e" accent aigu suivi d'un "a" accent circonflexe. Cette particularité ne justifierait pas d'y consacrer tout un billet. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le vocabulaire propre au théâtre et ses fréquents emplois métaphoriques dans la langue française.

Pour assister à un événement quel qu'il soit, le mieux n'est-il pas d'être installé aux premières loges ? Les artistes ont des loges qui leur permettent de se maquiller ou de changer de costume. Mais les loges d'une salle de spectacle constituent un emplacement de choix, habituellement réservé aux spectateurs de marque (et fortunés). Quant aux premières loges, ce sont celles qui bénéficient de l'emplacement le plus favorable pour suivre la pièce.

La baignoire, quant à elle, est une loge située légèrement au-dessus du parterre ; elle tire sans doute son nom de la forme convexe du muret qui sépare cette loge du reste de la salle et qui lui donne un air de baignoire. En tout état de cause, mieux vaut un siège d'orchestre (la partie avant du parterre, parfois réservée à l'orchestre), de baignoire ou en loge, que de se retrouver au paradis ou au poulailler, c.-à-d. la partie la plus élevée de la salle et par conséquent la plus éloignée de la scène. L'origine de poulailler est incertaine : nous retiendrons l'explication du Littré de 1880 : "La partie du théâtre élevée et la plus incommode, les spectateurs y étant juchés par gradins comme sur un perchoir ; c'est le milieu du dernier étage". Quant au paradis, qui désigne la même zone de façon beaucoup plus poétique, il tire sans doute son nom de sa position très haute, qui plus est au voisinage du plafond de la salle souvent orné de scènes mythologiques ou religieuses. Le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis (1945) évoque l'atmosphère populaire de cette partie d'un théâtre.

Les trois coups annoncent le début de la pièce. Cette tradition connaît plusieurs explications : peut-être une évocation de la Trinité ou bien trois saluts, l'un pour la prétendante côté jardin, le second pour le machiniste côté cour et le troisième pour le public. Le sens de prétendante dans ce contexte nous échappe et nous serions heureux de recevoir tout éclaircissement à ce sujet. Les trois coups sont frappés au moyen d'un bâton nommé brigadier : au départ, le brigadier était un ouvrier dirigeant une équipe ou brigade, chargé de frapper les trois coups. Par métonymie, le brigadier a ensuite désigné le bâton employé à cette fin.

Le côté cour désigne le côté droit de la scène vu de la salle, et le côté jardin le côté gauche. Ces termes viennent de l'époque où la troupe de la Comédie Française était installée, à partir de 1770, dans la Salle des machines du Palais des Tuileries : ce lieu, également appelé Théâtre des Tuileries était une vaste salle de spectacle aujourd'hui disparue qui donnait d'un côté sur la Cour du Louvre et de l'autre sur le Jardin des Tuileries. Moyen mnémotechnique pour se souvenir de l'emplacement de la cour et du jardin : J. C. (comme Jésus Christ ou Jules César, avec le "J" de Jardin à gauche et le "C" de Cour à droite).

Qui n'a jamais dit merde ! à quelqu'un pour l'encourager avant un examen ou un entretien d'embauche par exemple ? Cette expression viendrait du théâtre : plutôt que de souhaiter "bonne chance" – formule qui porte malheur – à un acteur ou un membre de la production on lui dit merde ! A l'époque où les spectateurs se faisaient déposer au théâtre en calèche, le volume de crottin produit par les chevaux était bien sûr proportionnel au nombre de spectateurs. En disant merde ! aux artistes, on leur souhaitait beaucoup de crottin, autrement dit beaucoup de spectateurs.

En attendant le prochain billet, je vais continuer d'explorer les coulisses de la langue française.

2 commentaires:

  1. Ah, les délices de la langue française mais aussi l'enfer de ceux qui n'ont pas la culture correspondante et celui des interprètes.Francis

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  2. C'est vrai : le français est une langue aussi belle qu'exigeante. Mais cela n'est-il pas vrai de toutes les langues ?

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