lundi 15 janvier 2018

Les fouilles curieuses de l'archéologue


S'il est bien un sport linguistique national popularisé par le célébrissime Album de la Comtesse du Canard Enchaîné, c'est bien celui de la contrepèterie. Selon le Petit Robert, ce terme nous vient de l'ancien français (1582) où contrepéter voulait dire "rendre un son pour un autre". La définition qu'en donne ce dictionnaire est la suivante : "Interversion des lettres ou des syllabes d'un ensemble de mots spécialement choisis, afin d'en obtenir d'autres dont l'assemblage ait également un sens, de préférence burlesque ou grivois".

La première contrepèterie que j'ai entendue dans la cour de récréation était : vaut-il mieux glisser dans la piscine ou pisser dans la glycine ? Voilà qui n'était pas bien méchant. Quelques années plus tard on me fit remarquer, avec un clin d'œil un peu grivois, que les jeunes filles aimaient le tennis en pension. Citons encore, parmi les grands classiques : ces femmes sont folles de la messe.

En cette saison venteuse et hivernale il n'est pas rare de ressentir un petit vent qui siffle dans la rue du quai. Mais heureusement, nous allons vers la belle saison et ce sera bientôt le printemps des élections ! Et incontestablement, les porte-mines sont préférables à leur version contrepétée. Au fil de l'histoire mouvementée du continent asiatique, combien de fois avons-nous vu la Chine se dresser à la vue des Nippons !

Les ouvrages consacrés à la contrepèterie sont légion et il hors de question, ici, de prétendre à une quelconque exhaustivité. Parmi les curiosités de cette pratique, citons les quatre formules suivantes, qui se rapportent toutes à l'univers carcéral : les cachots sont bourrés, les barreaux sont couchés, les carreaux sont bouchés et les bourreaux sont cachés.

Finalement, ce sont les contrepèteries (a priori) involontaires qui sont les plus amusantes. Personne n'a ainsi oublié le spectaculaire slogan de la chaîne d'hypermarchés Mammouth : Mammouth écrase les prix ! C'est au regretté Coluche que nous devons la découverte de cet exploit publicitaire. Plus récemment, lors de la piétonisation – controversée - des voies sur berges dans la capitale, la Mairie de Paris a déployé un grand nombre de panneaux publicitaires portant l'inscription Les berges sont à vous ! Ce n'était peut-être pas le meilleur moyen de motiver les joggeurs. En janvier 2017 on pouvait lire le titre suivant dans Le Parisien : C'est beau Magritte la nuit. Pour une fois sans la moindre grivoiserie, le te de la Tourelle dans le Pas-de-Calais serait peut-être un hébergement idéal pour les personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs. Et j'avoue que je n'avais jamais repéré la contrepèterie dissimulée dans le nom de la station de métro parisienne Place des Fêtes.

Aucun domaine n'échappe à la contrepèterie. Prenons par exemple le sport : je ne suis pas certain que le sympathique joueur de tennis Lucas Pouille (permutation triple) a conscience du vilain jeu de mots auquel son patronyme peut se prêter. Quant à un international de football bien connu, il y a fort à parier que ses fans aient réclamé des buts à Cissé.

Nous conclurons cette chronique en citant la plus célèbre contrepèterie belge : il fait beau et chaud !

jeudi 11 janvier 2018

Des chiffres et des lettres


On pourrait certainement consacrer un livre entier à la place des chiffres dans la langue. Nous nous limiterons à quelques exemples particuliers. Là où, hier, nous demandions son numéro de téléphone à une personne, les jeunes d'aujourd'hui disent simplement : tu me donnes ton 06. Même si, en France, les numéros de téléphone mobile (ou cellulaire comme on dit au Québec) peuvent également commencer par le préfixe 07, c'est le 06 qui domine largement la scène. Cette expression, légèrement familière, ne se rencontre pas seulement dans le 9-3 (se prononce "neuf-trois"), voire le 93 (prononcer "neuf cube"). C'est souvent ainsi qu'on qualifie le département de la Seine-Saint-Denis qui porte le numéro 93. Aucun autre département ne bénéficie d'un traitement semblable. Petite digression non-linguistique à ce sujet : lorsque que les nouvelles plaques minéralogiques ne mentionnant plus le numéro du département ont été introduites de France, la nostalgie de ce dernier a été telle que quasiment tous les automobilistes ont fait usage de la possibilité qui leur était offerte de faire figurer le numéro de département (avec le logo de la Région) à droite de l'immatriculation.

Pour indiquer à un interlocuteur qu'on l'entend, ou plus précisément, qu'on le comprend parfaitement, il n'est pas rare de lui dire "je vous reçois 5 sur 5" : cette expression nous vient des communications radiotéléphoniques aéronautiques ou maritimes ; lors de l'établissement de la communication, on note, sur une échelle de 1 à 5, la qualité de cette dernière. Cette locution s'est imposée dans le langage courant, mais uniquement pour confirmer qu'on a parfaitement compris son interlocuteur ; dans le cas contraire, on ne lui dira pas "je vous ai reçu 2 sur 5", mais on lui demandera simplement de réexpliquer son propos.

Le nombre 36 se rencontre dans deux expressions qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre : voir 36 chandelles et être au 36ème dessous. La première renvoie à l'étourdissement causé par un choc violent, ce choc pouvant être physique ou psychologique. La sensation d'éblouissement qui s'en suit est sans doute à l'origine de la métaphore des chandelles. Mais pourquoi 36 ? Quant au 36ème dessous, c'est là qu'on se retrouve lorsqu'on se sent très déprimé, piteux, en situation d'échec. L'expression nous viendrait du théâtre où les dessous désignent les niveaux situés sous la scène ; c'est là qu'on entrepose les accessoires et que s'activent les machinistes. Quand la pièce est vraiment mauvaise et abondamment sifflée, les acteurs ne voient pas d'autre issue que de se réfugier dans les dessous. A l'origine, on parlait du 3ème dessous (l'Opéra Garnier à Paris compte ainsi trois niveaux inférieurs). Comme la langue aime bien exagérer, le 3ème dessous est devenu le 14ème dessous (disparu de nos jours même si on le trouve chez Proust) et finalement le 36ème dessous. Difficile de tomber plus bas !

Quand on se pare de ses plus beaux habits, on se met, dit-on, sur son 31. Voilà une expression à l'origine bien mystérieuse. Jusqu'au 15ème siècle, on connaissait le trentain, un tissu de qualité supérieure, mais l'expression se mettre sur son 31 date, elle, du 19ème. Autre hypothèse : l'existence de la "tenue de combat T31" revêtue par les militaires lors des prises d'armes. Mais le nom (T31) de cette tenue ne vient-il pas justement de l'expression sur son 31 ? Je vous livre mon hypothèse personnelle : une référence à la soirée du 31 (décembre) où chacun s'efforce d'être tiré à 4 épingles. Si l'on veut présenter un carré de tissu sous son meilleur jour, c'est en le fixant au moyen de 4 épingles (aux 4 coins), qu'on lui donnera le plus bel aspect. Par extension, cette expression qualifie une tenue vestimentaire particulièrement nette et bien en place.

Un mouton à 5 pattes (c'est également le titre d'un film d'Henri Verneuil sorti en 1954) désigne quelque chose de hors-norme, d'exceptionnel. Le patron qui cherche à recruter un mouton à 5 pattes, a bien peu de chances de trouver un candidat répondant à des exigences aussi particulières. A l'inverse, quelqu'un ou quelque chose qui ne casse pas 3 pattes à un canard, est d'une très grande banalité. L'extrême rareté dans l'univers des canards à 3 pattes, rendrait tout à fait exceptionnelle une personne qui réussirait cet exploit consistant à casser 3 pattes à un canard. Le verbe casser prend ici le sens d'"avoir un effet retentissant, spectaculaire" (comme dans ça ne casse pas des ruines, ça ne casse pas des briques, ou, plus simplement, ça ne casse rien).

Quoi qu'il en soit, il vaut mieux éviter d'être la 5ème roue du carrosse, dont l'utilité est extrêmement réduite, pour ne pas dire nulle ! Mais c'est peut-être tout de même préférable à la position du 13ème à table !

vendredi 5 janvier 2018

Coup de théâtre !


Le terme même de théâtre (ainsi que ses dérivés théâtral, théâtraliser etc.) se distingue déjà par une graphie unique dans la langue française, à savoir un "e" accent aigu suivi d'un "a" accent circonflexe. Cette particularité ne justifierait pas d'y consacrer tout un billet. Ce qui nous intéresse aujourd'hui, c'est le vocabulaire propre au théâtre et ses fréquents emplois métaphoriques dans la langue française.

Pour assister à un événement quel qu'il soit, le mieux n'est-il pas d'être installé aux premières loges ? Les artistes ont des loges qui leur permettent de se maquiller ou de changer de costume. Mais les loges d'une salle de spectacle constituent un emplacement de choix, habituellement réservé aux spectateurs de marque (et fortunés). Quant aux premières loges, ce sont celles qui bénéficient de l'emplacement le plus favorable pour suivre la pièce.

La baignoire, quant à elle, est une loge située légèrement au-dessus du parterre ; elle tire sans doute son nom de la forme convexe du muret qui sépare cette loge du reste de la salle et qui lui donne un air de baignoire. En tout état de cause, mieux vaut un siège d'orchestre (la partie avant du parterre, parfois réservée à l'orchestre), de baignoire ou en loge, que de se retrouver au paradis ou au poulailler, c.-à-d. la partie la plus élevée de la salle et par conséquent la plus éloignée de la scène. L'origine de poulailler est incertaine : nous retiendrons l'explication du Littré de 1880 : "La partie du théâtre élevée et la plus incommode, les spectateurs y étant juchés par gradins comme sur un perchoir ; c'est le milieu du dernier étage". Quant au paradis, qui désigne la même zone de façon beaucoup plus poétique, il tire sans doute son nom de sa position très haute, qui plus est au voisinage du plafond de la salle souvent orné de scènes mythologiques ou religieuses. Le film de Marcel Carné Les Enfants du paradis (1945) évoque l'atmosphère populaire de cette partie d'un théâtre.

Les trois coups annoncent le début de la pièce. Cette tradition connaît plusieurs explications : peut-être une évocation de la Trinité ou bien trois saluts, l'un pour la prétendante côté jardin, le second pour le machiniste côté cour et le troisième pour le public. Le sens de prétendante dans ce contexte nous échappe et nous serions heureux de recevoir tout éclaircissement à ce sujet. Les trois coups sont frappés au moyen d'un bâton nommé brigadier : au départ, le brigadier était un ouvrier dirigeant une équipe ou brigade, chargé de frapper les trois coups. Par métonymie, le brigadier a ensuite désigné le bâton employé à cette fin.

Le côté cour désigne le côté droit de la scène vu de la salle, et le côté jardin le côté gauche. Ces termes viennent de l'époque où la troupe de la Comédie Française était installée, à partir de 1770, dans la Salle des machines du Palais des Tuileries : ce lieu, également appelé Théâtre des Tuileries était une vaste salle de spectacle aujourd'hui disparue qui donnait d'un côté sur la Cour du Louvre et de l'autre sur le Jardin des Tuileries. Moyen mnémotechnique pour se souvenir de l'emplacement de la cour et du jardin : J. C. (comme Jésus Christ ou Jules César, avec le "J" de Jardin à gauche et le "C" de Cour à droite).

Qui n'a jamais dit merde ! à quelqu'un pour l'encourager avant un examen ou un entretien d'embauche par exemple ? Cette expression viendrait du théâtre : plutôt que de souhaiter "bonne chance" – formule qui porte malheur – à un acteur ou un membre de la production on lui dit merde ! A l'époque où les spectateurs se faisaient déposer au théâtre en calèche, le volume de crottin produit par les chevaux était bien sûr proportionnel au nombre de spectateurs. En disant merde ! aux artistes, on leur souhaitait beaucoup de crottin, autrement dit beaucoup de spectateurs.

En attendant le prochain billet, je vais continuer d'explorer les coulisses de la langue française.

lundi 1 janvier 2018

Avec le temps ...


En ce 1er janvier 2018, nous allons nous intéresser au temps, non pas celui qu'il fait (quoique la tempête Carmen eût pu justifier qu'on en parlât), mais celui qui passe – généralement trop vite à notre goût.

S'il fallait retenir une citation pour illustrer la dimension relative temps qui passe, je retiendrais celle de Paul Bourget dans "Le sens de la mort" : "Quand on attend, les secondes sont des années, et quand on se souvient, les années sont des secondes." Le temps est omniprésent dans notre imaginaire collectif et l'on ne compte plus le nombre d'artistes, d'écrivains, de poètes qui en ont fait un thème majeur de leur œuvre. On songe aux Montres molles de Salvador Dali, aux chansons Avec le temps de Léo Ferré, Je n'aurai pas le temps de Michel Fugain ou encore Le temps de Charles Aznavour. Mais comment ne pas citer l'intemporel À la recherche du temps perdu de Marcel Proust ou les Considérations intempestives de Friedrich Nietzsche !

Dès lors, rien d'étonnant à ce que le concept de temps se retrouve sous les formes les plus diverses dans la langue française. Quand deux personnes se retrouvent après un certain temps, il n'est pas rare que l'une déclare : "cela fait un bail" qu'on ne s'est pas vu. Comme on sait, un bail est un contrat de location, de durée très variable. Certains baux – dits emphytéotiques – peuvent porter sur des durées très longues, jusqu'à 99 ans, d'où l'idée de longue durée lorsque cela fait un bail qu'on est resté sans nouvelles de quelqu'un. Mais on entend parfois aussi dire cela fait une paye. Cette expression résulte sans doute d'une déformation de la précédente ; mais elle fait également référence à l'intervalle entre deux payes, de nos jours généralement un mois.

Quid des lustres ? "Cela fait des lustres que je ne t'ai pas vu". Au 17ème siècle, le lustre désigne une période de cinq ans. Mais pourquoi donc ? L'explication est à chercher dans l'antiquité romaine où le lustre désignait un sacrifice ou une cérémonie purificatrice (cf. lustration) qui avait lieu tous les cinq ans lors du recensement de la population. De nos jours un lustre désigne une période relativement longue.

Lorsqu'un pilote se targue de compter un grand nombre d'heures de vol, il fait valoir son expérience et, par conséquent, la sécurité qu'il apporte à ses passagers. En revanche, dans tout autre contexte que celui de l'aviation, si l'on on dit d'une personne qu'elle a des heures de vol, le propos est tout sauf élogieux. Il est vrai que notre société privilégie grandement la jeunesse. Corneille n'écrivait-il pas déjà dans Le Cid "Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années" ? Lesquelles années se disent, en argot, piges, balais ou berges. Pour en revenir aux heures, celles-ci deviennent des plombes en argot, sans doute par référence au marteau qui tombe d'aplomb sur la cloche pour sonner les heures, d'où plomber au sens de frapper et finalement de sonner.

Il est souvent insupportable d'attendre ou, plus familièrement, de faire le poireau ou encore poireauter. L'image du poireau, planté bien droit et immobile, est à l'origine de cette expression. C'est ce qu'il vous arrive quand vous restez planté quelque part. Et l'on retrouve ici l'origine du terme planton, cette sentinelle qui reste plantée à attendre des ordres. Il n'est pas sûr, en revanche, que l'expression faire lanterner quelqu'un fasse référence à l'immobilité verticale d'un lampadaire.

Si, ami lecteur, amie lectrice, vous me prenez en défaut sur telle ou telle interprétation, je vous répondrai au temps pour moi à moins que je ne déclare autant pour moi. Cette expression avec ces deux graphies mériterait un billet à part entière, tant il y de controverses à ce sujet. Nous nous contenterons d'indiquer qu'au temps, en langage militaire, est un ordre destiné à faire reprendre un mouvement depuis le début, au temps pour moi signifiant dès lors qu'on reconnaît son erreur et qu'on est prêt à revoir sa position, à revenir en arrière. Mais la graphie autant pour moi a également ses partisans : mon interlocuteur a commis des erreurs, mais je n'en suis pas non plus exempt, autrement dit il y en a autant pour moi.

Chers amis de ce blog, à l'aube de cette nouvelle année, je vous souhaite des temps heureux et le moins possible de contretemps !