lundi 31 décembre 2018

A chacun sa madeleine

La madeleine de Proust est peut-être l'une des expressions françaises les plus fréquentes. On l'utilise pour désigner la remontée de souvenirs souvent chargés d'émotion provoquée par un événement de la vie quotidienne. C'est au narrateur d'"A la recherche du temps perdu" dans "Du côté de chez Swann", premier tome du roman de Marcel Proust, qu'on doit cette madeleine. Mais pourquoi la madeleine s'appelle-t-elle ainsi ? L'étymologie la plus pittoresque met en scène l'ex-roi de Pologne Stanislas Leszczynski et une jeune cuisinière de Commercy, Madeleine Paulmier, servante de la marquise Perrotin de Baumont : alors que le souverain donnait une réception en son château, une querelle entre l'intendant et le cuisinier amena ce dernier à quitter les lieux en emportant avec lui le dessert qu'il avait préparé. Fort marri de se retrouver ainsi privé de dessert, l'ex-roi s'enquit d'un plan B : la jeune servante Madeleine lui proposa une recette qu'elle tenait de sa grand-mère, un petit gâteau moulé dans une coquille Saint-Jacques. Les convives s'en délectèrent, tant et si bien que Stanislas Leszczynski lui donna le nom de la jeune cuisinière. Se non è vero…

Les noms des gâteaux et pâtisseries sont souvent des casse-tête pour les étymologistes. Ainsi quid du baba au rhum ? Encore une fois, nous allons retrouver Stanislas Leszczynski : ce dernier, exilé en Lorraine, trouvait le temps long et remédiait à son ennui en lisant les Contes des Mille et Une Nuits qu'il adorait. Souvent, on lui servait au dessert un kouglof, spécialité de l'Alsace voisine. S'il appréciait ce gâteau, il le trouvait néanmoins un peu sec et eut l'idée, pour lui donner du moelleux, de l'arroser d'une rasade de rhum. Et quoi de plus naturel alors que de donner à cette création le nom de l'un de ses héros préférés, (Ali) Baba. Ainsi naquit, dit-on, le baba au rhum.

L'éclair, quant à lui, tirerait son nom du fait que cette pâtisserie est tellement bonne qu'elle se dévore "en un éclair". A moins qu'une dégustation ultra-rapide ne soit rendue nécessaire par la crème pâtissière qu'il contient et qui risquerait de couler si on ne l'engloutit pas prestement. Enfin, troisième origine possible, l'éclair pourrait être appelé ainsi en raison de son glaçage si brillant qu'il reflète les rayons de lumière et produit ainsi des éclairs.

L'étymologie de la religieuse est des plus incertaines. Pour les uns, la couleur du glaçage de cette pâtisserie évoquerait la robe des religieuses. Pour les autres, le gros chou surmonté d'un chou plus petit pourrait faire penser à une bonne sœur en habit de nonne. Et d'où nous vient alors le pet-de-nonne ? Là encore, plusieurs possibilités : il aurait pu s'agir, à l'origine, de paix-de-nonne ; ce beignet aurait été ainsi nommé car sa recette, inventée par une religieuse, aurait été donnée à un couvent voisin et ennemi pour faire la paix avec celui-ci. Autre étymologie plus prosaïque : une novice de l'Abbaye de Marmoutier se serait malencontreusement laissée aller à émettre un "vent" au moment de la préparation du repas. Très gênée en présence de ses coreligionnaires, elle aurait, en chancelant, laissé tomber une cuillerée de pâte à chou dans une marmite de graisse chaude : ainsi serait né le pet-de-nonne.

Concluons cette chronique culinaire par le paris-brest, pâtisserie de forme circulaire composée d'une pâte à chou fourrée de crème pralinée et parsemée d'amandes effilées. La création de ce gâteau est attribuée à un pâtissier de Maisons-Laffitte, Louis Durand, qui imagina en 1910 cette pâtisserie en forme de roue de bicyclette pour célébrer la course cycliste Paris-Brest-Paris.

Avec ce dernier billet de l'année 2018 qui, je l'espère, vous aura ouvert l'appétit pour les agapes de la Saint-Sylvestre, je vous présente, chers amis de ce blog, mes vœux les plus chaleureux pour une nouvelle année enrichissante dans tous les sens du terme.

dimanche 14 octobre 2018

Bonheurs et surprises


Je vous invite, amis lecteurs, à découvrir sans tarder "Bonheurs et surprises de la langue" paru aux éditions Philippe Rey. L'auteur de ce délicieux ouvrage n'est autre que … l'Académie française.

Ce recueil, organisé selon l'ordre alphabétique – comment aurait-il pu en être autrement de la part des gardiens du Dictionnaire – nous promène au gré des étymologies les plus inattendues dans la langue française.

On y découvre par exemple que le nom grec kauma a donné aussi bien calme, chômage, encaustique qu'holocauste. On y apprend  comment le verbe latin dividere (diviser) est à l'origine de devise (au sens de monnaie ou de formule concise), de devis et du verbe deviser, mais aussi que le compte et le conte nous viennent l'un et l'autre de computare (calculer) ou bien encore que pécule, pécuniaire et pécunieux (et impécunieux) sont issus du latin pecus qui désigne un troupeau. On apprend aussi que capital et cheptel sont apparentés.

Mon propos n'est pas de proposer un résumé de ces 280 pages, mais de vous donner envie de vous plonger dans ces pittoresques pérégrinations linguistiques. Un banquier serait certainement surpris d'apprendre que, comme un saltimbanque,  son métier est lié à un banc (comme celui du commerçant dans un marché) ; mais quand les choses deviennent trop bancales elles risquent de finir par une banqueroute. Vous aimez la langue française ? Eh bien banco !, ce livre est fait pour vous.

mardi 9 octobre 2018

Cornélien ou platonique ?

Langue et littérature sont indissociables. La langue est évidemment la matière première, la glaise pétrie par l'auteur pour en faire une œuvre littéraire ou poétique. Mais si la langue nourrit l'écriture, l'inverse est aussi vrai et l'on connaît d'innombrables exemples d'auteurs ou de personnages littéraires qui sont venus enrichir la langue. Faire le tri peut s'apparenter à un choix cornélien. Quand, tel le Cid de Corneille, on est tiraillé entre les sentiments et le devoir, le choix est effectivement cornélien.

Remontons un peu plus loin dans l'histoire, jusqu'à Platon par exemple, qui, dans sa générosité, nous a gratifié de deux adjectifs (pour le prix d'un) : platonicien et platonique. Si platonicien se rapporte simplement à la philosophie de Platon, platonique  renvoie à un concept d'idéal, de pureté, dénué de toute sensualité. Quand l'amour est platonique, point de gaudriole !

C'est au début du 16ème siècle que Nicolas Machiavel écrit "Le Prince". Mais il faut attendre la fin du 18ème siècle pour que le machiavélisme (et l'adjectif machiavélique) prennent leur sens actuel : le recours au cynisme, à la ruse et à la mauvaise foi pour arriver à ses fins sans s'embarrasser de scrupules moraux. Quant au poète florentin (comme Machiavel) Dante Alighieri – 1265-1321 -, auteur de la Divine Comédie qui retrace l'itinéraire de l'auteur en enfer, au purgatoire et au paradis, il nous a légué l'adjectif dantesque qui qualifie quelque chose de sombre, grandiose et vertigineux par référence à la tonalité de l'œuvre de Dante.

François Rabelais eut aussi une influence majeure sur notre langue, à commencer par l'adjectif rabelaisien qui, lorsque qu'il ne se rapporte pas directement à l'auteur ou à son œuvre, prend le sens de grivois, licencieux, truculent – comme par exemple un rire rabelaisien. Et si nous recevons un convive à l'appétit pantagruélique, veillons à lui préparer un repas gargantuesque (et vice-versa).

Quant à Pygmalion, dans les Métamorphoses d' Ovide le sculpteur tombé amoureux de sa statue Galatée, on le retrouve dans de nombreuses œuvres littéraires, de Jean-Jacques Rousseau à George-Bernard Shaw en passant par Goethe et le musicien Jean-Philippe Rameau. Quand il devient un nom commun, un pygmalion désigne une personne qui cherche à façonner l'être aimé, pour le conduire à la réussite, un peu comme un mentor d'ailleurs, puisque Mentor est, dans l'Odyssée d'Homère, l'ami d'Ulysse et précepteur de son fils, Télémaque.

Ce billet serait incomplet, si l'on ne faisait pas une place à Jean-Baptiste Poquelin, plus connu sous le nom de Molière. Nous lui devons, entre autres, tartuffe et tartufferie : un tartuffe est un hypocrite ("Couvrez ce sein que je ne saurais voir"). Mais Molière nous a aussi légué le personnage d'Harpagon : passé dans la langue courante on qualifie volontiers d'harpagon une personne avare.

Et pour conclure je vous engage à ne jamais confondre un gavroche avec un rastignac !

lundi 1 octobre 2018

FOR-MI-DABLE - Bon vent Monsieur Aznavour !



L'immense Charles Aznavour vient de nous quitter. Ayons une pensée pour lui à travers cette chanson de 1964 qui est un vibrant hommage à la langue française.


For me, formidable

You are the one for me, for me, formi, formidable
You are my love, very, very, véri, véritable
Et je voudrais un jour enfin pouvoir te le dire
Te l'écrire
Dans la langue de Shakespeare
My daisy, daisy, dési, désirable
Je suis malheureux
D'avoir si peu de mots à t'offrir en cadeau
Darling I love you, love you, darling, I want you
Et puis c'est à peu pres tout
You are the one for me, for me, formi, formidable
You are the one for me, for me, formi, formidable
But how can you see me, see me, si mi, si minable
Je ferais mieux d'aller choisir mon vocabulaire
Pour te plaire
Dans la langue de Molière
Toi, tes eyes, ton nose, tes lips adorables
Tu n'as pas compris
Tant pis, ne t'en fais pas et
Viens-t'en dans mes bras
Darling I love you, love you, darling, I want you
Et puis le reste, on s'en fout
You are the one for me, formi, formidable
Je me demande même pourquoi je t'aime
Toi qui te moque de moi et de tout
Avec ton air canaille, canaille, canaille
How can I love you?

Paroliers : Charles Aznavour / Jacques Plante

dimanche 30 septembre 2018

Froid ? Moi, jamais !


Alors que la canicule (cf. mon billet du 6 août 2018) n'est plus qu'un lointain souvenir, en ce début d'automne nous devons nous accoutumer à nouveau à des températures plus fraîches. Le temps qu'il fait est peut-être le sujet de conversation le plus fréquent et, par conséquent, notre langue fait une large place à quantité d'expressions liées à la météo.

Ces jours-ci, nous sommes tous aperçus que "le fond l'air est frais". J'ai beau scruter l'atmosphère, je n'ai jamais vu le fond de l'air, pas plus que sa surface, ni son épaisseur. Il n'empêche : le moment est venu de mettre une petite laine si l'on ne veut pas prendre froid, voire attraper un refroidissement. Il est curieux de constater que la cause d'un rhume, à savoir le froid ou le refroidissement, donne ainsi son nom à la pathologie elle-même. Et c'est la même chose en anglais (cold) et en allemand (Erkältung).

Mais pourquoi donc dit-on, quand la chute des températures est prononcée, qu'il fait un froid de canard (et non pas un froid de connard comme je l'ai entendu dire par un non-francophone qui présumait de ses capacités idiomatiques) ? La raison serait la suivante ; lors de la chasse au canard, qui se pratique principalement durant l'automne et l'hiver, le chasseur doit rester immobile durant des périodes prolongées jusqu'à être transi (du latin transire – aller au-delà, transpercer). Plus triste, l'expression un froid de gueux, qui fait sans doute référence à la misérable condition des gueux qui n'avaient pas de quoi se chauffer. Quant à l'argot cailler – même étymologie que coaguler -, ce verbe renvoie au fait que le froid amène – au sens figuré – le sang à se coaguler en caillots.

Alors que l'être humain est un animal à sang chaud, on lui demande souvent, face à une situation délicate, de garder son sang-froid, autrement dit de ne pas s'échauffer. Quand la situation devient dangereuse – peut-être au point qu'elle vous glace le sang -, non seulement faut-il garder son sang-froid, mais celui qui n'a pas froid aux yeux sera certainement avantagé : l'étymologie de cette dernière expression est incertaine ; une hypothèse : sachant qu'avoir froid au cul signifiait avoir peur et que l'œil en argot pouvait désigner ledit cul, celui qui n'a pas froid aux yeux désigne par conséquent un individu courageux et déterminé. Le froid est souvent associé à la peur, comme par exemple dans l'expression faire froid dans le dos. La peur et le froid ne sont-elles pas les principales causes des tremblements ? Voici une anecdote historique pour le rappeler :
Astronome et littérateur, président de la Constituante, puis maire de Paris, Jean-Sylvestre Bailly fut, comme tant d'autres révolutionnaires de la première heure, condamné à mort par la convention.
Il faisait déjà froid et il pleuvait ce 10 novembre 1793, le jour fixé pour son supplice, et le bourreau n'en finissait pas de préparer sa sinistre machine. Transi jusqu'à la moelle, Bailly grelottait de manière incoercible.
"- Tu trembles, Bailly, lui dit, gouailleur, un assistant du bourreau.
- Oui, mon ami, mais c'est de froid."

Quant à l'auteur d'un propos ou d'un acte déplacé, qui crée un malaise dans une assemblée, on dit volontiers qu'il jette un froid, sans doute parce que tout le monde se fige. Il ne devra pas alors s'étonner de ce que ses interlocuteurs lui battent froid, autrement dit lui manifestent de l'indifférence, voire de l'hostilité. On n'ira tout de même pas jusqu'à le refroidir, un des nombreux verbes qui signifient "tuer" en argot.

Chères lectrices, chers lecteurs, j'espère que ce billet de rentrée ne vous aura pas laissés froids.

lundi 17 septembre 2018

Le charme discret du … bon français

Durant des mois, le livre "Le charme discret de l'intestin" a caracolé en tête des ventes. Surfant sur le succès de cet ouvrage au titre et au contenu improbables, un auteur, se disant "mentaliste", a voulu prendre de la hauteur en publiant "Votre cerveau est extraordinaire", puis, plus récemment "Votre cerveau est définitivement extraordinaire". Mais que vient donc faire ici cet adverbe définitivement ? C'est, une fois de plus, un calque de l'anglais definitely, faux-ami des plus classiques. En bon français, on aurait pu utiliser vraiment, absolument, résolument etc. Nous n'allons pas condamner définitivement l'auteur de cet ouvrage, mais simplement l'inviter à utiliser les capacités certainement exceptionnelles de son cerveau  pour appréhender les subtilités linguistiques de l'anglais et du français.

Nul ne prétend que le français est une langue facile ; d'ailleurs, existe-t-il des langues faciles ? Nous en doutons fort. La langue française est difficile, voire très difficile.  Voire et non pas voire même comme on l'entend à longueur de temps sur les ondes et ailleurs. Voire, du latin verus "vrai", est utilisé (assez rarement de nos jours) comme exclamation exprimant le doute, comparable à vraiment dans son sens interrogatif. Le plus souvent voire sert à renforcer une assertion, à marquer une gradation : "votre cerveau a des capacités remarquables, voire exceptionnelles". Mais pourquoi donc vouloir à tout prix compléter voire d'un même parfaitement inutile ?

Autre formule trop souvent entendue et résolument pléonastique, pour ne pas dire doublement pléonastique : au jour d'aujourd'hui. Quand sait qu'aujourd'hui est déjà une sorte de pléonasme, c'est vraiment en faire trop. En effet, le hui dans aujourd'hui vient du latin hodie qui veut dire … aujourd'hui, en ce jour. Aujourd'hui suffit donc amplement et, si l'on a envie de varier, on peut dire aussi à ce jour.

Le mot espèce est féminin ! Que cela soit dit une fois pour toutes ! Alors pourquoi entend-on constamment un espèce lorsque ce terme est suivi d'un masculin ? Le substantif qui suit espèce semble produire une espèce de contagion. C'est bien une espèce (et en aucun cas un espèce) d'abruti qui m'a klaxonné alors que je ne démarrais pas assez vite au feu vert.

La paresse, dit-on, est le corollaire de l'intelligence : si l'homme a inventé la roue, c'est pour réduire l'effort physique requis pour transporter de lourdes charges. Cette paresse déteint aussi sur l'expression, par exemple lorsqu'on emploie un anglicisme au lieu de faire l'effort de chercher un équivalent dans sa langue. A l'ère des réseaux sociaux, nous avons pris l'habitude de poster des messages, de liker, voire de commenter des posts. Serait-ce ringard de publier un message ou d'aimer une publication ?

La paresse linguistique (nous n'irons pas jusqu'à parler de paresse intellectuelle) conduit aussi de nombreux locuteurs à employer le verbe solutionner à la place de résoudre. Bien que comptant plus de syllabes que résoudre, solutionner présente l'avantage notable d'être un verbe du premier groupe, par conséquent beaucoup plus facile à conjuguer que son concurrent. Encore eût-il fallu que nous résolussions les problèmes posés par la conjugaison du verbe résoudre. Mais eût-il été plus élégant que nous les solutionnassions ?

lundi 13 août 2018

À la mi-août…

"A la mi-Août
C'est tellement plus romantique
A la mi-Août
Y a d'la joie pour les matous"

Ces quelques vers sont extraits d'une célèbre chanson de Ray Ventura (paroles d'André Hornez, musique de Paul Misraki) qui date de 1950 et qu'on peut entendre dans le film Nous irons à Paris de Jean Boyer. (A écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=k2-eC2ri-vk).

Après le précédent billet consacré à la gent canine, nous nous intéresserons aujourd'hui aux félins dont la présence dans la langue française n'a rien à envier à celle de leurs congénères canins. Chat échaudé craint l'eau froide, dit la sagesse populaire ; en effet, un chat ayant fait l'expérience d'un liquide brûlant se montrera désormais tellement circonspect qu'il évitera également tout contact avec l'eau froide. De l'expérience naît donc la prudence, parfois peut-être excessive.

A l'époque actuelle, dominée par le "politiquement correct" nous hésitons de plus en plus à appeler un chat un chat : ainsi, un sourd devient un malentendant, un handicapé une PMR (ou personne à mobilité réduite), une femme de ménage une technicienne de surface, une caissière une hôtesse de caisse ou un imbécile un mal-comprenant ! Le paradoxe – très amusant – c'est que l'expression appeler un chat un chat est tout sauf politiquement correcte puisque, depuis le 17ème siècle, le chat en question ne fait aucunement référence au félidé, mais à une partie de l'anatomie féminine encore qualifiée ainsi de nos jours (en mettant chat au féminin). Jean-Paul Sartre écrivait dans "Qu'est-ce que la littérature" (dans Situations philosophiques) : "La fonction d'un écrivain est d'appeler un chat un chat. Si les mots sont malades, c'est à nous de les guérir. Au lieu de cela, beaucoup vivent de cette maladie."

Intéressons-nous maintenant à deux expressions apparentées à l'origine incertaine : avoir d'autres chats à fouetter – avoir d'autres choses (plus importantes) à faire – et il n'y a pas de quoi fouetter un chat – c'est une chose sans importance. Selon l'éminent  linguiste Alain Rey, fouetter serait ici une déformation de foutre (au sens le plus charnel du terme) et le chat serait celui du paragraphe précédent (ou peut-être par homonymie le chas qui désigne un orifice). Les anglophones sont en tout cas plus prosaïques puisque l'expression correspondante en anglais est to have other fish to fry.

Mais pourquoi donc dit-on qu'on a un chat dans la gorge lorsqu'on est enroué ? Une explication, non confirmée, est la suivante : cela viendrait d'un jeu de mots ou d'une confusion entre matou et maton, terme qui désignait à l'origine du lait caillé ou des grumeaux de lait : lorsqu'on est enroué on a les voies respiratoires encombrées par des glaires qui s'apparentent peut-être à des grumeaux de lait ; on aurait donc un maton dans la gorge. Après cette explication quelque peu capillotractée, je vous propose une interprétation toute personnelle : et s'il s'agissait tout simplement d'un jeu de mots sur matou et ma toux ?

Lorsque nous sommes en présence d'une énigme étymologique dont la solution résiste à toutes nos investigations, il ne nous reste plus qu'à donner notre langue au chat. Cette expression est relativement récente puisqu'elle date du 19ème siècle ; à l'origine, on disait jeter sa langue aux chiens : en effet, on jette aux chiens les restes, ce qui n'a plus de valeur, comme la langue de celui qui ne trouve pas la réponse à la question. Pourquoi cette langue que l'on jetait aux chiens est-elle devenue une langue qu'on donne au chat ? Peut-être parce que, lorsqu'on mettait quelque chose dans l'oreille du chat, on lui confiait un secret ; avec le temps, le chat se retrouvait donc dépositaire de nombreux secrets et d'autant de connaissances qu'il ne risquait pas de divulguer. Lorsqu'on donne sa langue au chat on la lui lègue puisqu'elle est devenue inutile, mais en même temps on la lui confie afin de pouvoir la récupérer si soudain la lumière se fait et que l'on trouve enfin la solution qu'on cherchait. Mais peut-être a-t-on tout simplement voulu adoucir une formule assez cruelle en remplaçant jeter par donner et les chiens par un chat.

Alors que le chat est réputé être un animal très propre, il est curieux que l'expression faire une toilette de chat désigne une toilette rapide et superficielle ; il est vrai toutefois qu'on n'observe pas souvent un chat se mettre sous la douche et se savonner de l'extrémité des moustaches au bout de la queue.

Nous terminerons avec le dicton à bon chat, bon rat : dans cette expression qui date du 16ème siècle, le chat désigne un chasseur rusé face auquel son gibier – le rat – devra développer des trésors d'ingéniosité pour ne pas se faire attraper ; autrement l'élève devra égaler le maître, ou bien, pour reprendre une expression du début du 17ème siècle, à bon assailleur bon défendeur : un combat est juste si les adversaires sont de force égale.

Et comment ne pas conclure ce billet par le célèbre Duo des chats de Rossini : https://www.youtube.com/watch?v=0Xfygc2xTlE

lundi 6 août 2018

Canicule ou temps de chien ?


Canicule : du latin canicula, diminutif de canis – chien – et signifiant précisément petite chienne. Quel rapport entre cette étymologie et la période très, très chaude qui sévit en Europe au moment où nous écrivons ces lignes ? Canicula était également le nom d'une étoile particulièrement brillante – appelée aujourd'hui Sirius – de la constellation du Grand Chien. Or sous nos latitudes, durant la période du 24 juillet au 24 août, cette étoile se lève et se couche en même temps que le soleil, ce qui avait amené les anciens à penser qu'elle redoublait les ardeurs du soleil ! Ainsi, selon Wikipédia, Pline l'Ancien écrivait : "Quant à la Canicule, qui ignore que, se levant, elle allume l'ardeur du soleil ? Les effets de cet astre sont les plus puissants sur la Terre : les mers bouillonnent à son lever, les vins fermentent dans les celliers, les eaux stagnantes s'agitent". On retrouve cette étymologie canine à la fois en anglais – dog days – et en allemand – Hundstage.

A l'inverse, s'il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors, c'est plutôt qu'il fait froid et qu'il pleut, bref qu'il fait un temps de chien ! Dans ce dernier cas "de chien" traduit l'idée d'un excès qu'on retrouve dans les expressions une humeur de chien ou un mal de chien. Cette image très négative attribuée à nos compagnons à quatre pattes est sans doute liée à la très mauvaise réputation qui a accompagné le chien au fil des siècles, encore présente aujourd'hui par exemple dans la religion musulmane.

Personne n'aime se faire traiter comme un chien, et encore moins se faire jeter aux chiens. Après le suicide de Pierre Bérégovoy le 1er mai 1993, le Président Mitterrand déclarait : "Toutes les explications du monde ne justifieront pas qu’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme…". Ce sens péjoratif se retrouve également dans l'expression chienne de vie.

Toujours au chapitre du chien considéré comme une sale bête, on trouve l'expression  garder un chien de sa chienne à quelqu'un, qui traduit une idée de rancune et une volonté de vengeance. La tradition voulait que le propriétaire d'une chienne réserve un chiot de la portée au propriétaire du géniteur, ce qui est somme toute plutôt sympathique. Mais les facéties de la langue française ont fini par conférer une signification très négative à cette expression.

Mais le plus fidèle ami de l'homme est également à l'origine d'expressions fort pittoresques, comme par exemple on n'attache pas son chien avec des saucisses, qui signifie être très avare : en effet, celui qui aurait l'idée saugrenue d'attacher son chien avec des saucisses constatera rapidement la totale inefficacité de cette mesure, car le chien s'empressera de dévorer sa "chaîne" ; si l'on s'obstine alors à renouveler l'attache, on finira par dépenser beaucoup d'argent en chapelets de saucisses, ce qu'un avare ne fera en aucun cas !

Un chien regarde bien un évêque : autre expression curieuse à l'origine amusante. Autrefois, la bienséance voulait que les gens modestes baissassent les yeux au passage des puissants, comme par exemple les prélats et autres évêques ; mais une telle exigence ne pouvait s'appliquer aux chiens, plus humbles encore que leurs maîtres, mais bien incapables de saisir la subtilité des rapports sociaux. Dès lors, si un chien, malgré sa très basse condition peut s'autoriser à regarder un évêque, n'importe qui devrait pouvoir le faire.

Si deux personnes se regardent chiens de faïence (de Faenza, ville d'Italie à partir de laquelle la faïence s'est répandue en France), elles se regardent fixement et avec hostilité ; c'est sans doute par référence aux paires de chiens de faïence qu'on disposait autrefois face à face de part et d'autre d'une cheminée.

Avant de conclure cette chronique estivale, mentionnons encore l'expression avoir du chien, qui – généralement appliquée à une femme – signifie que celle-ci a un charme un peu canaille (de l'occitan canalha - ensemble de chiens ; a remplacé chiennaille). Enfin, si je vous dis que  les chiens ne font pas des chats, je ne surprendrai personne : cette expression pour laquelle je vous propose ci-dessous une très jolie illustration, est synonyme de tel père, tel fils, ou encore de bon sang ne saurait mentir.



L'heure est maintenant venue pour l'auteur de ce billet d'aller chercher un peu de fraîcheur pour se mettre à l'abri de la canicule, et, pour tout chien qui se respecte de se réfugier dans sa niche : et le lecteur aura sûrement remarqué que ces deux mots sont des anagrammes ! Alors, si en plus, le chien vient de Chine

samedi 12 mai 2018

Marche ou grève !

Quel rapport entre la grève au sens d'arrêt de travail, la grève en bord de mer et la Place de Grève où se déroulaient notamment les exécutions durant l'Ancien régime ? Il faut remonter à l'étymologie latine : en latin populaire (12ème siècle) grava signifie gravier et a donc donné grève (au sens de plage), tout comme graves (et ses excellents vins de la rive gauche de la Garonne) ou encore gravats.

Quant à la Place de Grève, elle fut créée au 12ème siècle sur décision du roi Louis le Jeune (Louis VII, né en 1120 et mort en 1180, qui régna de 1137 à 1180). Cette place, devenue en 1803 Place de l'Hôtel-de-Ville, tire son nom du fait qu'elle était bordée d'une étendue de sable et de gravier en bord de Seine ; ce fut l'un des principaux ports de Paris où l'on déchargeait, du bois, du blé, du vin… Véritable centre d'activité économique, la Place de Grève était donc un lieu où les hommes sans emploi trouvaient facilement du travail. Être en grève a ainsi pris la signification de "chercher du travail" : attendre l'embauche Place de Grève.

Par métonymie, le terme de grève a désigné le lieu où se réunissaient les ouvriers sans travail. C'est vers le milieu du 19ème siècle que grève prend finalement le sens de cessation volontaire et collective du travail. Cette inversion de la signification du mot grève est étonnante.

La grève peut prendre de multiples formes :

Ø  Une grève surprise est déclenchée sans dépôt préalable d'un préavis
Ø  Une grève peut être sauvage : elle est alors décidée directement par les travailleurs en l'absence de toute consigne syndicale
Ø  On connaît aussi la grève tournante, qui frappe successivement différents ateliers ou services d'une entreprise
Ø  La grève sur le tas est un mouvement dans lequel les travailleurs occupent leur lieu de travail
Ø  Quant à la grève du zèle elle consiste à travailler en respectant scrupuleusement toutes les consignes afin de ralentir l'accomplissement des tâches
Ø  Au moment où nous écrivons ces lignes, les cheminots ont déclenché une grève perlée : c'est une succession discontinue d'arrêts de travail d'une durée limitée
Ø  Et il y a bien sûr la grève générale qui s'étend à tous les secteurs d'activité dans le pays tout entier
Ø  Dans certains cas, les grévistes forment un piquet de grève, pour bloquer l'accès au lieu de travail des salariés non-grévistes.

Quant aux briseurs de grève, on les appelle parfois les jaunes, par référence au syndicalisme jaune opposé aux Rouges. D'ailleurs dans un ouvrage de 1906 intitulé "Le Socialisme et les Jaunes", le député de Brest Pierre Biétry, fondateur de la Fédération nationale des Jaunes de France, dénonce les syndicats marxistes dirigés par "ces meneurs de la gréviculture [...], vivant du travail des autres". Ce terme de gréviculture – autrement dit la culture de la grève – apparaît dès 1902 dans un dessin de presse du dessinateur Caran d'Ache paru dans Le Figaro. Le terme fait déjà polémique à l'époque et n'a donc rien d'un néologisme comme auraient pu le faire croire les débats récents autour de ce terme.


Par extension, le terme grève a également pris le sens d'arrêt d'une activité, comme par exemple dans grève de la faim. Et, qui n'a pas rêvé, un jour, de faire la grève de l'impôt ? Enfin, nous ne serions pas complets, si nous n'évoquions pas la grève du sexe, dont l'exemple le plus célèbre se trouve dans la comédie Lysistrata d'Aristophane où les femmes, menées par Lysistrata, se refusent à leurs maris pour imposer la paix et mettre fin à la Guerre du Péloponnèse.

lundi 23 avril 2018

Ceci, cela


Le billet d'aujourd'hui est consacré à quelques erreurs courantes en français, qu'on entend pourtant parfois dans la bouche de personnes qui parlent très bien notre langue. D'ailleurs, ces erreurs sont plus souvent le fait de francophones natifs que d'allophones pour qui le français est une langue étrangère.

Ceci dit ou  cela dit ?

On ne devrait pas dire ceci dit ; en effet, ceci désigne ce qui est le plus proche et, par conséquent, ce qui suit alors que cela se rapporte à ce qui est plus éloigné et donc à ce qui précède puisque, par définition, un événement passé est plus éloigné qu'un événement futur. On doit donc dire cela dit ou bien cela étant ou encore cela étant dit, voire, au risque de paraître pédant, cela posé.

Quel mode après après que ?

Après que  se construit avec l'indicatif et non pas avec le subjonctif comme on l'entend pourtant trop souvent. En effet, alors que avant que implique une éventualité et justifie donc l'emploi du subjonctif, après que se rapporte à un fait accompli et requiert donc un verbe à l'indicatif : "après que nous nous sommes rencontrés, nous avons décidé de faire un bout de chemin ensemble" ; mais "avant que nous nous soyons connus, la vie avait été bien insipide".

Malgré que : à bannir !

Malgré que fait résolument mal aux oreilles. Il est tellement facile d'utiliser quoique, bien que ou encore alors que si l'on a besoin d'une construction verbale. Et gardons malgré pour marquer une concession avec un substantif : "malgré les progrès de l'intelligence artificielle, celle-ci n'arrive pas à la cheville de la stupidité naturelle". Il y a toutefois une exception : c'est l'expression désuète malgré que j'en aie, qui signifie malgré moi, malgré mes hésitations. L'entrée malgré du CNRTL est très intéressante à cet égard.

Revenir sur

Imaginons le commentaire suivant dans un journal télévisé : "Le Gouvernement va-t-il revenir sur sa décision de baisser les impôts de 50 % ? Nous allons revenir sur ce dossier après le reportage de notre journaliste." Dans la première occurrence, l'emploi de revenir sur est correct : l'expression traduit un changement de position, l'annulation d'une décision. Dans la seconde occurrence en revanche, la formule est fautive : il aurait fallu dire "nous allons revenir à ce dossier …". L'utilisation erronée de revenir sur est extrêmement fréquent, et même certainement majoritaire dans les médias.

Sur

La préposition sur est utilisée à tort et à travers, sans doute parce que ceux qui l'emploient se refusent à faire l'effort de chercher la préposition correcte. "La semaine prochaine, je serai sur Paris", entend-on à tout bout de champ. Est-il vraiment si difficile de dire "je serai à Paris" ou bien "je serai en région parisienne" ? Quant à l'horrible "je suis sur un dossier", il évoque immanquablement chez moi l'image d'une personne assise sur un épais dossier, peut-être pour se rehausser ou, justement, pour s'asseoir dessus au sens de "ne pas tenir compte de quelque chose, être complètement indifférent".

Depuis : préposition marquant le temps

"Je vous écris d'Arcachon" et non pas "je vous écris depuis Arcachon" ! La préposition depuis marque avant tout le temps et non le lieu. Mais combien de fois entend-on "notre correspondant nous a transmis ce reportage depuis Condom-sur-Baïse", alors que la préposition de fait parfaitement l'affaire. Depuis peut cependant marquer le lieu dans la construction depuisjusqu'à : "Les Pyrénées s'étendent depuis l'Atlantique jusqu'à la Méditerranée" : mais on a ici l'idée d'une continuité qui n'est pas dénuée d'une dimension temporelle.

Près ou prêt

Là encore, la confusion est fréquente. Près de, suivi d'un verbe à l'infinitif, traduit l'idée de proximité : "il n'est pas près d'y arriver" ; en revanche "être prêt à" signifie "être disposé à" : "je suis prêt à t'écouter". Quant à quelqu'un qui est prêt à tout

Littéralement

L'emploi de l'adverbe littéralement est très curieux : en effet son sens premier est "à la lettre, dans le plein sens d'un mot". Or, dans l'usage courant, littéralement est le plus souvent employé dans le sens de figurativement, qui est pourtant l'exact opposé. Lorsqu'on dit "les prix des cigarettes ont littéralement explosé", l'adverbe donne une valeur superlative au verbe, mais personne n'a jamais vu un prix "exploser". Et lorsque quelqu'un affirme "je suis littéralement mort de fatigue", il nous parle – si l'on prend ses propos au pied de la lettre, donc dans leur sens littéral – de l'au-delà ! Quant à un joueur de tennis qui s'est fait littéralement massacrer par son adversaire, il ne nous reste plus qu'à lui souhaiter un prompt rétablissement !

vendredi 30 mars 2018

Les mots de l'huître



Je vous propose aujourd'hui de m'accompagner sur une plate ostréicole à la découverte – linguistique – de l'ostréiculture du Bassin d'Arcachon. La plate est cette embarcation à fond plat utilisée couramment par les ostréiculteurs, appelés aussi parqueurs ; avec son tirant d'eau très faible, la plate – ou bateau-bac - a remplacé la pinassotte ou petite pinasse, véritable emblème du Bassin d'Arcachon. Avant de visiter les parcs à marée basse, n'oubliez pas de chausser des mastouns ou patins à vase, faute de quoi vous risquez bien vite de vous enfoncer profondément dans la vase. Et, si vous êtes accompagné par une ostréicultrice, n'oubliez pas d'admirer sa benaise, la coiffe traditionnelle des parqueuses.

L'élevage de l'huître est une succession d'opérations complexes et ardues réalisées avec passion par les "paysans de la mer". Tout d'abord, il convient de capter les larves d'huîtres ou naissain : à cette fin, on immerge des collecteurs, le plus souvent des tuiles chaulées. C'est le naturaliste Victor Coste qui a été le premier, en 1859, à utiliser des tuiles pour capter les larves d'huîtres ; la technique semblait concluante, à ceci près que, si le naissain, se fixait bien sur les tuiles et s'y développait, il était difficile de détacher ensuite les larves sans abîmer les coquilles. Heureusement, en 1865, un maçon arcachonnais, Jean Michelet, pense à chauler les tuiles, c'est-à-dire à les enduire d'un mélange de chaux et de sable. Les larves d'huîtres s'y fixent tout aussi bien, mais sont ensuite beaucoup plus facile à détacher.

Cette opération au cours de laquelle on détache les jeunes huîtres des collecteurs s'appelle le détroquage, à ne pas confondre avec le désatroquage, qui consiste à séparer les huîtres collées les unes aux autres. Une fois détroquées, les jeunes huîtres sont placées dans des poches grillagées appelées ambulances qui sont immergées dans les parcs où les huîtres se développeront durant trente à quarante-huit mois. A l'origine, les ambulances étaient des casiers en bois avec un fond en grillage, aujourd'hui ce sont des poches en plastique. Les ambulances sont placées dans les parcs sur des chantiers métalliques, sortes de grandes tables en métal immergées ; la culture dite "au sol" existe également. Au bout de 18 mois, on sort les ambulances pour désatroquer les huîtres avant de les immerger à nouveau pour qu'elles poursuivent leur développement.

Avant d'être commercialisées, les huîtres doivent encore être affinées, c.-à-d. nettoyées, en séjournant quelque temps dans des sortes de piscines remplies d'eau de mer, les dégorgeoirs appelés aussi les claires. Ainsi s'explique l'expression fines de claire qu'on rencontre souvent sur les cartes de restaurants.

La prochaine fois que vous verrez des huîtres dans une bourriche (mot à l'étymologie incertaine) vous penserez à ce long processus qui s'est écoulé entre le captage du naissain et le couteau de l'écailler.

samedi 24 mars 2018

La chocolatine, j'vous la mets dans une poche ?


L'"Atlas du Français de nos Régions" de Mathieu Avanzi, paru aux éditions Armand Colin, nous donne l'occasion d'un petit périple pittoresque qui nous fera découvrir les variantes régionales de notre belle langue française.

A l'heure où le château de Villers-Cotterêts, où fut signée, en 1539, la fameuse ordonnance instaurant la langue française comme langue officielle des services juridiques et administratifs, est appelé à devenir une "Cité de la francophonie" comme l'a annoncé le Président de la République le 20 mars 2018 lors de la Journée de la Francophonie, il est bon de se souvenir que, contrairement à la République, la langue française n'est pas "une et indivisible" mais se décline en de multiples variantes qui fluctuent au gré des époques et des régions.

La chocolatine mentionnée dans le titre du présent billet n'est autre que l'appellation du pain au chocolat dans le Sud-Ouest de la France. Cette même viennoiserie sera une couque au chocolat en Belgique, éventuellement un croissant au chocolat dans l'Est de la France jusqu'à la Franche-Comté, voire un petit pain au chocolat dans le Nord, l'Est et aussi en Belgique. Dans une grande partie du pays le boulanger emballera le pain au chocolat dans un sac ou un sachet ; mais dans le Sud-Ouest, on vous mettra la chocolatine dans une poche, alors qu'en Bretagne et dans l'Indre ce sera dans un pochon. En Suisse romande, en Franche-Comté et en Lorraine, ne soyez pas étonné si l'on vous propose un cornet.

Il faut se reporter à une carte de géographie pour retrouver les diverses façons de désigner un crayon. L'appellation dominante est crayon à papier en Île de France, en Normandie et dans la majorité de la moitié sud de la France. Mais ce sera un crayon de papier dans le Centre-Est, un crayon de bois dans les Hauts-de-France et les Pays-de-la-Loire, un crayon gris en Suisse, dans le Sud-Est, en Languedoc et dans le Finistère, un crayon tout court en Belgique et dans le Nord-Est. Très localisées, on trouve les appellations crayon papier dans les Côtes d'Armor et crayon mine autour de Reims.

Savez-vous ce qu'on appelle doucette en Auvergne et en Franche-Comté, rampon en Suisse, boursette dans les Pays-de-la-Loire et salade de blé en Belgique ? Eh bien c'est la salade qu'on appelle mâche dans le reste du territoire. N'hésitons pas agrémenter notre salade de mâche de quelques groseilles : ces-dernières deviennent des castilles dans une partie de la Bretagne, des gradilles dans le Cotentin, des raisinets en Suisse et des tamarins ou tramarins dans une petite partie de la Franche-Comté. Quant aux myrtilles, celles-ci se transforment en brimbelles dans une bonne partie de la Région Grand-Est et en airelles dans une petite zone d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Indépendamment des accents régionaux, la prononciation de certaines syllabes varie également selon l'endroit où l'on se trouve. Ainsi prononce-t-on brin et brun de la même façon au nord de la Loire et en Corse, alors que la prononciation est différente au sud de la Loire et en Belgique. La répartition est pratiquement la même dans le cas d'empreinte et emprunte. Autre prononciation particulière qui fait sourire beaucoup de Français : celle du mot moins qui se prononce "moinsse" au sud de la Garonne.

J'espère que ces quelques exemples vous auront mis en appétit et que vous aurez plaisir à découvrir tous les autres dans cet Atlas du Français de nos Régions.

jeudi 1 mars 2018

Coquecigrues ou carabistouilles ?



Si je vous dis que la langue française est parfois très pittoresque, ce ne sont pas là des billevesées. L'origine de ce mot qui désigne des propos creux, vides de sens est incertaine. "Bille" pourrait venir de "beille" – boyau, du latin "botulus – et "vesée" de "vezé", qui veut dire "ventru", "gonflé" et serait dérivé de "veze", une cornemuse au 16ème siècle. Rien de tout cela n'est absolument certain et les gens qui racontent des billevesées font sûrement du vent.

Dans un champ sémantique très voisin, on trouve les balivernes. Ce terme se rencontre en 1464 dans "La Farce de Maistre Pierre Pathelin". Sans certitude, il pourrait être dérivé de la forme verbale baliverner, composée de baller – danser, tourner en dansant comme dans un bal – et de verner qui signifie "tourner sur soi-même (même origine que virer). Les propos de celui qui raconte des balivernes tournent donc doublement en rond et sont donc d'un intérêt assez limité.

Il est étonnant de voir combien de mots le français comporte pour désigner des paroles creuses, futiles. Fadaises est de ceux-là. Le terme nous vient du provençal fadeza, "sottise", lui-même dérivé de "fat" au sens de "sot", du latin "fatuus" (insensé). On retrouve cette étymologie dans les termes fada et fat (au sens moderne de l'adjectif). Des fadaises aux foutaises, il n'y a qu'un pas.

Toujours dans le même ordre d'idées, nous avons les fariboles qu'on rencontre chez Rabelais en 1532. Là encore, l'incertitude règne quant à l'étymologie du mot. Peut-être un lien avec "falibourde" ou "fallebourde" qui veut dire "sottise" en ancien français : cela nous renvoie à l'ancien provençal "falabourdol" ("bourde" = mensonge et "faillir" au sens de mentir). A moins que, plus simplement, les fariboles ne soient une altération du latin "frivolus" qui nous a donné "frivole".

Puisqu'on évoquait Rabelais à propos des fariboles, nous lui devons aussi, dans Gargantua, la locution à la venue des coquecigrues, autrement dit "jamais", comme les calendes grecques ou bien quand les poules auront des dents. La coquecigrue serait un animal improbable résultant de l'amalgame entre un "coq", une "cigogne" et une "grue" et cet animal imaginaire a engendré le sens actuel de baliverne ou d'absurdité. Cette étymologie n'est pas certaine et d'autres hypothèses existent comme nous l'apprend l'excellent Dictionnaire Historique de la Langue Française (éditions Le Robert) réalisé sous la direction d'Alain Rey et que je recommande chaudement à tous les amoureux de notre langue.

On reste dans le flou étymologique avec les calembredaines dont l'origine pourrait être semblable à celle de calembour. "Calem" pourrait se rapprocher du wallon "calauder" qui signifie bavarder et du picard "calender" (dire des balivernes). Quant aux "bredaines" qui forment la deuxième partie du mot, leur origine pourrait être la même que celle de "bredouiller". Il existe aussi la forme genevoise calembourdaine à rattacher à "bourde" qui désigne une parole en l'air.

Restons toujours dans le même domaine avec les galéjades, du provençal "galejado", plaisanterie, raillerie. A l'origine, on a, toujours en provençal, "galeja" qui signifie "plaisanter" et vient de "se gala", s'amuser, que l'on retrouve dans le verbe "galer" en ancien français ; et l'adjectif "galant" vient de là. Mesdames, faites attention aux galéjades  d'un galant homme !

J'espère que vous ne croyez pas que je vous raconte des sornettes ! Ces dernières – et une fois de plus l'origine est incertaine – viendraient de "sorne" qui signifiait en moyen français une attitude hautaine, empreinte de morgue, mais aussi plaisanterie ou moquerie. "Sorne" pourrait venir de l'ancien provençal "sorn", adjectif qui veut dire "sombre", "obscur" (cf. soir). Et cela nous conduit à l'adjectif sournois, dont le sens premier était "d'humeur sombre". Pourtant, quelqu'un qui vous raconte des sornettes n'est pas nécessairement sournois.

Il y a quelques jours, le Président de la République, en visite au Salon de l'agriculture, répliquait à un cheminot par ces termes : "… faut pas raconter de craques aux gens". Les craques, autrement dit des mensonges ou à tout le moins des exagérations, nous viennent d'un ancien sens de "craquer" qui voulait dire "mentir" par allusion au bruit que font certains oiseaux.

Nous conclurons ce billet par un hommage à nos amis belges qui ne résistent jamais à la tentation de nous raconter des carabistouilles. Mystère quant à l'origine de ce belgicisme ; peut-être un dérivé de "carabin", étudiant en médecine, qui apprécie les chansons et les blagues graveleuses ; par extension, celui qui dit n'importe quoi raconte des carabistouilles. La carabistouille est aussi un jeu de société créé en 1991, qui, après avoir disparu, a ressuscité  en 2011 sous le nom de "nonsense". C'est également un défi que se lancent des journalistes de radio et de télé et qui consiste à placer des mots absurdes dans leurs commentaires sans que l'on s'en aperçoive. Essayez, par exemple, de placer le mot carabistouille, dans un reportage sur la pêche à la baleine ou la réforme de la SNCF… C'est un jeu qui se pratique également parfois entre interprètes, n'est-ce-pas, chers collègues ?

Chères lectrices, chers lecteurs, j'espère que ce billet vous aura intéressé et ne vous aura pas donné le sentiment que je vous racontais des c……ies !